Construire un espace avec Carpaccio

Vittore Carpaccio, La Vision de Saint Augustin, Scuola di San Giorgio degli Schiavoni, Venise, 1502

Vittore Carpaccio, La Vision de Saint Augustin, Scuola di San Giorgio degli Schiavoni, Venise, 1502

 

 

 

 La vision de Saint Augustin est un tableau de Vittore Carpaccio que j’affectionne et qui m’a été très utile pour concevoir plusieurs décors.

J’y ai puisé de nombreux détails qui m’ont servi, tantôt à créer l’atelier de Bellini, tantôt le cabinet de travail de Barbarelli.

 

 

 

Jean Dytar, extrait de La Vision de Bacchus Jean Dytar, extrait de La Vision de Bacchus

 

Le Rêve de Sainte Ursule, du même Carpaccio, a également été une source d’inspiration féconde…

Vittore Carpaccio, Le rêve de Ste Ursule, Gallerie dell'Accademia, 1495

Vittore Carpaccio, Le rêve de Ste Ursule, Gallerie dell’Accademia, 1495

 

Vittore Carpaccio était un peintre vénitien à cheval entre le XVe et le XVIe siècle. L’une de ses influences majeures était Antonello de Messine.

Jean Dytar, extrait de La Vision de Bacchus

 

De façon générale, ce peintre m’intéresse pour deux raisons : sa conception de l’espace représenté (dans ses meilleurs tableaux, car son œuvre est d’une qualité inégale) et sa façon d’éclairer ces espaces.

Ces deux aspects m’ont constamment guidé durant l’élaboration de La Vision de Bacchus.

 

 

 Fidèles aux règles déjà classiques de la perspective d’Alberti, avec un point de fuite unique et centré à l’intérieur du cadre, les arrière-plan de Carpaccio sont faits de surfaces frontales.

Vittore Carpaccio, Le départ des ambassadeurs anglais, Gallerie dell'Accademia, 1498

Vittore Carpaccio, Le départ des ambassadeurs anglais, Gallerie dell’Accademia, 1498

Dans certains de ses tableaux, cet arrière-plan occupe même une place majeure. Les personnages, pourtant au coeur de scènes narratives, se retrouvent relégués vers les bords du tableau.

Ce qui anime alors ces espaces vides (bien que remplis de détails, de motifs, d’un chatoiement de couleurs), c’est la lumière suggérée par le peintre. Une lumière qui vient souvent éclairer la scène par le côté, comme le fera plus tard Vermeer.

Ces surfaces frontales sont souvent, à un endroit ou à un autre, ouvertes vers un arrière-plan. Le jeu de la profondeur se fait aussi à travers d’autres parois en perspective, des portes, des fenêtres, qui sont parfois cadrées dans un raccourci si radical qu’elles se réduisent à des lignes verticales… lesquelles annulent pratiquement l’effet de profondeur. Une leçon de composition, avec des rythmes visuels verticaux et horizontaux que ne renierait pas un Mondrian !

Et parfois, un point qui rétablit l’équilibre au milieu d’un vide, comme ce petit chien dans La Vision de Saint Augustin.

D’un certain point de vue, sur la couverture de la Vision de Bacchus, j’ai situé Antonello assis par terre dans un espace semblable à l’endroit où se trouve le petit chien du tableau de Carpaccio… Si on enlève le chien, l’image ne tient pas : il ponctue le vide de sa présence discrète.

Vittore Carpaccio, La Vision de Saint Augustin, Scuola di San Giorgio degli Schiavoni, Venise, 1502

Vittore Carpaccio, La Vision de Saint Augustin, Scuola di San Giorgio degli Schiavoni, Venise, 1502

Jean Dytar, La Vision de Bacchus

 

Je crois que, au-delà de la figuration, et bien au-delà de ce que celle-ci raconte, la magie d’une image tient à un équilibre finalement abstrait, celui des formes et des couleurs qui la sous-tendent.

Par ailleurs, de même que les éclairages latéraux de Carpaccio anticipent ceux de Vermeer, les ouvertures à l’arrière-plan du Rêve de Sainte Ursule ou de nombre d’autres tableaux de Carpaccio préfigurent les dispositifs spatiaux des intérieurs hollandais que l’on trouvera au XVIIe siècle, chez Vermeer et surtout chez Pieter de Hooch (remarquons en passant le petit chien dans Scène d’intérieur avec une mère épouillant son enfant, situé dans un endroit semblable à celui de Carpaccio)…

Pieter de Hooch, Scène d'intérieur avec une mère épouillant son enfant, 1660

Pieter de Hooch, Scène d’intérieur avec une mère épouillant son enfant, 1660

 

 

J’ai conçu pour La Vision de Bacchus plusieurs décors qui jouent ainsi avec la profondeur de l’espace et des effets d’ouverture, en ayant à l’esprit autant ces peintres hollandais que « mes » peintres vénitiens.

Jean Dytar, extrait de La Vision de Bacchu

 

 

De façon générale, la question du cadre, de la fenêtre, de l’ouverture, revient souvent dans ma mise en images, en résonance avec la peinture vénitienne du XVe siècle. En effet, un tableau à la Renaissance était considéré comme « une fenêtre ouverte sur l’historia » (Alberti, De Pictura, 1435).

La bande dessinée, peut-être, prolonge et renouvelle cette conception, à la différence près que le cadre de la fenêtre est celui de la case, et que celle-ci n’est pas auto-suffisante : c’est en passant de case en case que l’histoire se figure.

Jean Dytar, extrait de La Vision de Bacchus

Enfin, pour en finir de façon anecdotique avec Carpaccio, je n’ai pas encore évoqué un détail à l’arrière-plan de l’Arrivée des ambassadeurs anglais, qui m’a servi pour la scène du départ de Jacobello…

Vittore Carpaccio, L'arrivée des ambassadeurs anglais (détail), Gallerie dell'Accademia, 1495-1500

Vittore Carpaccio, L’arrivée des ambassadeurs anglais (détail), Gallerie dell’Accademia, 1495-1500

 

Jean Dytar, extrait de La Vision de Bacchus

 

 

Et le pont du Rialto, alors en bois, que l’on voit sur la case suivante, ainsi que les postures de gondoliers qui suivent, proviennent directement du Miracle de la relique de la Croix au Pont du Rialto :

Vittore Carpaccio, Miracle de la relique de la Croix au Pont du Rialto, Gallerie dell'Accademia, 1494

Vittore Carpaccio, Miracle de la relique de la Croix au Pont du Rialto, Gallerie dell’Accademia, 1494

 

Jean Dytar, extrait de La Vision de Bacchus

 

(Les tableaux reproduits sont ©Web Gallery of Art)

 

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