Les cartes
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaite présenter brièvement quelques cartes évoquées dans Florida, et en montrer les originaux (puisque tous les dessins qui figurent dans l’album sont des copies, hormis les gravures de Théodore de Bry). Voici la première planche de Florida :
La Cosmographie universelle de Guillaume Le Testu, par quoi j’ai ouvert mon récit (non sans quelques modifications) à travers les deux premières images de l’album, est un ensemble de cartes dessinées à Dieppe pour l’amiral de Coligny. Guillaume Le Testu était d’abord un navigateur. Il a exploré les côtes du Brésil et notamment la baie de Rio de Janeiro, avant qu’une première expédition coloniale française initiée par l’amiral de Coligny ne voie le jour dans les années 1555, au moment où Guillaume Le Testu, revenu en France, dessinait ce vaste corpus de cartes.
L’ensemble comprend 56 cartes : des cartes du monde dans sa totalité, tel qu’il pouvait se le figurer à son époque, selon diverses projections, et de nombreuses cartes de parties du monde, plus détaillées. Dans les cartes complètes, comme celle-ci, deux choses m’ont frappé : d’abord la forme du continent américain, pas encore connu entièrement. Et cette grande bande de terre dans l’hémisphère sud, nommée « Terres australes », qui semble relier l’Antarctique et l’Australie actuelle en ajoutant quantité de terres entre les deux. Guillaume Le Testu semblait fasciné par ces Terres Australes, au point que sa Cosmographie universelle comprend 12 cartes détaillées de cette contrée imaginaire, peuplée d’un bestiaire fabuleux qui n’est pas sans faire penser à des créatures sorties des voyages de Marco Polo [1]…
A priori, si Le Testu a tant représenté ces terres inconnues, c’est qu’il voulait susciter auprès de l’amiral de Coligny le désir de financer un voyage afin de les explorer. On voit combien est glissant le terrain qui mène de la connaissance à la propagande, ou plutôt à l’influence – on dirait aujourd’hui lobbying : il ne s’agissait en effet pas d’un document imprimé destiné à être rendu public, mais d’un manuscrit original destiné à une personne privée, au pouvoir important.
Quant à savoir si l’on croyait vraiment aux créatures hybrides et fantastiques qui pouvaient peupler ces terres inconnues, ne peut-on se poser la même question aujourd’hui à propos des créatures extra-terrestres que l’on imagine [2] ?
Le Testu n’ira jamais explorer les Terres Australes, pas plus que l’amiral de Coligny n’engagera une expédition de ce côté-là. Après l’échec de la France antarctique (nom donné à la colonie du Brésil), c’est en Floride que Coligny réitèrera une nouvelle tentative, plus spécifiquement constituée de protestants calvinistes, avant que les guerres de Religion ne finissent par sceller pour un bon moment ces projets de conquête français. L’amiral de Coligny fut le premier chef protestant tué lors du massacre de la Saint-Barthélemy en 1572. La France se déchirait, laissant le champ libre aux convoitises anglaises et bientôt hollandaises face aux empires coloniaux espagnol et portugais.
Le Testu, protestant lui aussi, aura trouvé refuge du côté des Anglais comme bien d’autres huguenots, après avoir connu les prisons françaises. Il accompagnera le corsaire anglais Francis Drake, auprès duquel il sera tué au cours du pillage d’un trésor espagnol à Panama.
Avant de m’intéresser à Guillaume Le Testu et à ses cartes, ce fut le cartographe Martin Waldseemüller qui avait retenu mon attention. En 1507 depuis son atelier de Saint-Dié dans les Vosges (alors possession germanique), il fut le premier à comprendre que l’Amérique n’était pas une partie occidentale des Indes, mais bel et bien un nouveau continent, à le figurer et à le nommer America.
J’évoque brièvement cette carte dans Florida, mais sans la montrer. La voici donc :
Presque 80 ans après Waldseemüller, une autre carte du monde fut établie à la suite de la circumnavigation de Francis Drake, entre 1577 et 1580. Drake n’était pas le premier à faire le tour du monde, puisque l’expédition de Magellan l’avait précédé en 1519-1522, mais il fut le premier à en être revenu vivant [3]. J’évoque aussi ce voyage et cette carte dans Florida, mais on ne la distingue guère. Voici à quoi elle ressemble. Celle-ci a été dessinée par Nicola van Sype en 1581 :
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[1] Ceci dit, il ne pouvait savoir qu’en Australie se trouvaient des animaux qu’on ne trouve nulle par ailleurs sur la planète !
[2] Par ailleurs, j’ai déjà tenté d’explorer ici le chemin de crête étroit entre l’histoire et la légende, autour du Sourire des marionnettes. J’y convoquais déjà, de manière plus précise, la figure de Marco Polo.
[3] Comment ne pas rester pantois en constatant qu’il y a encore des gens au XXIe siècle pour croire que la Terre est plate et même s’échiner à vouloir le démontrer, alors qu’au XVIe siècle déjà on savait depuis longtemps qu’elle était ronde et qu’enfin on le prouvait par l’expérience…